La surprise de l’année : le tournant populiste

Les prévisionnistes aiment quand ils tapent dans le mille. À la fin de l’année, les plus honnêtes réfléchissent à ce qui les a surpris le plus, ce qui est une façon polie de répondre à la question « Où a-t-on fait fausse route? ». Chaque année, je pose la question à mon équipe, qui alimente alors la réflexion par une multitude d’idées. L’année 2016 ne fait pas exception, mais ses choix ont été fortement influencé par un seul élément : les victoires troublantes – et très médiatisées – décrochées lors de « jeux d’une importance déterminante », et dont on pourrait ressentir les effets pendant un bon moment. Si tel est le cas, l’incapacité de prévoir ces résultats sera doublement inquiétante. Mais de quels « jeux » parle-t-on au juste?

Tout d’abord, des Jeux olympiques de Rio. De catastrophe annoncée, ils se sont plutôt bien déroulés. Une prévision erronée dont l’issue a été positive. Autre résultat inattendu : la victoire de David sur Goliath à l’Euro 2016, soit de l’Islande sur une équipe britannique bien mieux payée. Voilà qui aurait pu être précurseur des événements à venir. La remontée victorieuse des Cubs lors de la Série mondiale a aussi été emblématique d’une année riche en surprises. Pourtant, les revirements les plus remarquables ont eu lieu dans un autre sport.

Après la défaite crève-cœur de l’équipe britannique, le pays a pris la relève avec le résultat-choc du vote sur le Brexit. La population britannique s’est prononcée pour une sortie de l’Union européenne, mais Londres, l’Écosse, l’Irlande de Nord et d’autres zones urbaines ont voté pour le maintien. Dans l’ensemble, le vote divisé a légèrement penché en faveur du Brexit. Les sondages ont mis les deux camps au coude-à-coude jusqu’au jour du référendum, et la plupart des gens sont allés se coucher en s’attendant au maintien du statu quo. Le plus surprenant est sans doute l’étonnement du monde – et des Britanniques – en apprenant le résultat du scrutin.

Au même moment, le spectacle des élections américaines gagnait en intensité grâce à une série de surprises qui ont établi de nouvelles limites sur les comportements adoptés lors d’une campagne électorale. Premièrement, les faits et les tests d’exactitude sont devenus presque sans importance, en partie en raison des messages limités à 140 caractères et de la faible capacité d’attention de l’auditoire. En fait, aux États-Unis, le fossé entre la rhétorique et la réalité n’a jamais été aussi profond durant une élection. Cela est vrai pour les déclarations à propos de la conjoncture économique et politique, mais aussi des « politiques pour corriger la situation » présentées lors de la campagne. Deuxièmement, les déclarations ont dépassé les normes perçues en matière de rectitude politique, ce qui a parfois provoqué des réactions vives et bizarres. Troisièmement, à la fin de la campagne, des allégations crédibles liées à des comportements scandaleux ont visé les deux candidats. De nouvelles limites ont été atteintes quant au ton emphatique et acrimonieux considéré comme acceptable lorsque les candidats sillonnaient l’Amérique ou participaient aux débats.

Et puis, un événement a vraiment attiré l’attention : les sondages ne désignaient aucun gagnant avec certitude, mais les modèles fiables liés aux résultats des Grands électeurs annonçaient incontestablement une victoire décisive de madame Clinton – et certains prévoyaient même une victoire écrasante. Aux États-Unis et ailleurs sur la planète, la stupéfaction a été profonde quand, fort tard dans la nuit (à l’heure normale de l’Est), il est devenu apparent que des États clés (ou swing states) changeaient de camp et que l’ « Amérique moyenne » votait massivement pour le parti républicain.

Depuis, le monde tente de comprendre les retombées du vote. Deux élections d’importance n’ont pas eu les résultats escomptés, un tournant électoral qui n’est pas passé inaperçu. Au lendemain de ces scrutins, nous connaissons les acteurs, mais pas les programmes. Or, sans feuille de route, les entreprises sont dans l’incertitude et ignorent si elles doivent mettre en œuvre leurs grands projets d’investissement. Cette étape, nous l’avons appelée La Grande Hésitation.

Qu’est-ce que tout cela signifie? En Occident, les électeurs semblent grossir les rangs toujours plus nombreux d’un groupe désenchanté par la performance lamentable de l’économie depuis la fin de la récession et par les solutions avancées en matière de politiques – et personnellement mécontent de leurs effets. Ce mécontentement est tel que certains s’en prennent aux institutions, aux politiciens, aux grandes entreprises et à d’autres considérés comme des responsables ou des bénéficiaires de l’architecture éco-politique actuelle. Ce groupe semble avoir choisi des solutions vagues, incohérentes et parfois contrefactuelles qui sont censées, d’une certaine façon, remédier aux problèmes. Voilà, semble-t-il, son état d’exaspération. Fait remarquable, aux États-Unis comme au Royaume-Uni, les tournants politiques coïncident avec les tournants observés dans la sphère économique génératrice de prospérité. Voilà une coïncidence pour le moins ironique.

Conclusion?

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