Si vous examinez nos prévisions des dernières années, vous trouverez sans difficulté une erreur évidente et répétée. En effet, dans nos prévisions ciblant l’économie américaine, nous avons constamment tablé sur une relance du marché du logement. Nous avons annoncé avec justesse le tournant orchestré par ce marché, dont les niveaux d’activité n’ont pas déçu. Toutefois, la poussée convaincante escomptée, le signe de toutes les reprises aux États-Unis, ne s’est tout simplement pas produite. La position des Services économiques d’EDC s’apparente-t-elle à celle de Linus attendant la Grande citrouille ou bien cette poussée de l’activité finira-t-elle par se matérialiser?
D’où vient notre méprise? Un groupe clé de consommateurs américains a brillé par son absence depuis la grande récession. Cette fois, contrairement aux épisodes post-récessionnistes récents, une foule de jeunes travailleurs se sont retrouvés sur la touche, incapables d’intégrer complètement ou même en partie le marché de l’emploi. Cette situation porte-t-elle à conséquence? Après tout, ce groupe ne réunit pas les consommateurs les mieux nantis de l’économie et sa contribution au tableau général n’est sans doute pas si importante, surtout si on tient compte de la présence des baby-boomers riches et vieillissants dans les bastions économiques en Occident. C’est peut-être vrai. Or, ces groupes de jeunes travailleurs jouent un rôle crucial puisqu’ils sont constitués de consommateurs « de première vague » : ils font l’achat de leur première voiture et de leur première maison; ils forment des ménages et ont leurs premiers enfants – autant d’événements s’accompagnant d’une consommation spécialisée. En les retirant de l’équation économique, on se prive d’une force puissante dont les effets sont décelables dans toute la chaîne d’activités économiques transgénérationnelles.
Comment avons-nous détecté leur absence? En étudiant les données sur la participation de la main-d’œuvre, on se rend vite compte qu’il est arrivé quelque chose de terrible. Aux États-Unis, le taux de chômage a culminé au début de la récession, passant de 5 % à 10 % entre avril 2008 et octobre 2009. Après ce pic, il a tout de suite amorcé une descente constante, si bien qu’il est aujourd’hui inférieur à 5 %. En temps normal, cette augmentation de la demande en travailleurs ferait monter le taux de participation de la main-d’œuvre. Pourtant, cette fois, la participation générale a continué de chuter, surtout celle des jeunes travailleurs. Lors de la récession, la catégorie des 25-34 ans, qui affiche d’ordinaire un fort taux de participation, a vu 3 % de sa population quitter le marché du travail – ce qui représente 1,3 million de jeunes Américains, soit autant de consommateurs potentiels mis sur la touche.
L’absence de la génération du millénaire s’exprime dans une autre statistique pour le moins troublante. Incapables de se trouver un travail convenable, ces jeunes adultes n’ont jamais été aussi nombreux à habiter le domicile familial et pour un intervalle aussi long. Chez le groupe des 18-34 ans, le pourcentage de jeunes vivant toujours chez leurs parents est resté assez stable au fil du temps, peu importe la conjoncture économique. Cependant, aujourd’hui, leur nombre a atteint des niveaux inédits : près du tiers des Américains de ce groupe habitent toujours le domicile familial. Pour certains, il s’agirait d’une nouvelle préférence, mais l’histoire semble indiquer que cette situation est directement liée au manque de possibilités économiques.
Voilà pourquoi il est tout à fait remarquable qu’après toutes ces années on assiste à un revirement majeur. Depuis la mi-2015, le taux de participation de la main-d’œuvre des 25-34 ans a gagné 1,8 point de pourcentage. C’est près de 800 000 nouveaux consommateurs de première vague ayant fait leur entrée sur le marché du travail en moins d’un an. Mais il y a mieux encore : la tendance s’oriente à la hausse. De fait, la croissance générale de l’emploi est toujours en effervescence, le taux de chômage officiel très faible et les salaires réels sont en augmentation. Les conditions sont donc réunies pour que le marché réintègre de façon continue cette importante classe de travailleurs et de consommateurs.
Le meilleur de cette croissance est-il derrière nous? Si le taux de participation grimpe aux niveaux d’avant la récession, alors environ un demi-million supplémentaire de membres de la génération du millénaire sont en voie de reprendre du service. Aux taux d’intégration actuels, cela donne au marché américain moins d’une année de croissance. Cette croissance pourrait-elle se prolonger dans le contexte d’une population vieillissante? On pourrait observer un taux de participation supérieur à la moyenne pendant encore un certain temps, ce qui trancherait de façon radicale avec le sombre avenir annoncé par la plupart des analystes pour ces jeunes travailleurs.
Alors, la vague touchant la consommation et l’achat de maisons a-t-elle commencé à se former? La demande est repartie à la hausse, certes, mais le meilleur est à venir. L’embellie suivra avec un certain retard : les membres de la génération du millénaire devront s’habituer à ces nouveaux revenus; ils devront payer leur dette étudiante ainsi que gérer les dépenses liées à leur maison et à leur relocalisation, et d’autres dépenses du même genre. Par chance, ils recevront un coup de pouce de leurs parents toujours mieux nantis et impatients de les voir enfin progresser.
Conclusion?
Parents américains, préparez-vous à retrouver le sous-sol familial, car on devrait enfin voir le dynamisme se généraliser dans l’économie – une nouvelle vague de croissance qui déferlera encore pendant quelques années.