Cycle vs structure (avons-nous fait erreur sur toute la ligne?)

Avouons que le titre de cette semaine n’est pas très accrocheur! Il semble tirer d’une vieille revue économique. Mais si je vous disais qu’à court terme la bonne fortune des entreprises dépend de la réponse à cette question… ce titre est déjà un peu plus intéressant… J’oserais même affirmer que l’ensemble des perspectives mondiales dépend de la réponse. En fait, l’histoire de l’économie mondiale pourrait, sans vraiment le savoir, se trouver à la croisée des chemins. Dans le cas présent, l’écart entre perception et réalité pourrait se révéler particulièrement dommageable. Est-il possible que nous ayons fait erreur sur toute la ligne à propos de la conjoncture économique?

Si c’est le cas, cela pourrait changer la donne. Pour aller de l’avant, il est essentiel de savoir où on se trouve. Si un point de vue généralisé au sujet de la conjoncture conditionne nos réactions collectives, le fait que ces réactions sont justes ou inappropriées influera sur nos actions subséquentes, qui, elles, détermineront notre avenir. Autrement dit, si nous croyons que nous vivons dans un monde de faible croissance, nous adapterons nos comportements économiques à ce mode de croissance, ce qui produira, vous le devinez bien, un monde où la croissance reste faible.

C’est un piège redoutable dont il est difficile de se défaire, et nous y sommes déjà tombés dans l’histoire économique moderne. Nous avons frais à la mémoire les pertes extrêmes, les soupes populaires et les longues files de candidats postulant pour un seul emploi : le monde qui a suivi la dépression a entraîné une modification radicale des comportements économiques, et nous nous sommes juré de ne jamais nous retrouver dans pareille situation. Malheureusement, notre réaction a été exagérée, si bien que le niveau d’activité a baissé bien en deçà du niveau habituel. Les consommateurs ont fait grimper les taux d’épargne et décidé d’être moins dépensiers que dans les Années folles. Les entreprises ayant survécu ont allégé leurs activités, réduit leurs investissements et diminué les recrutements. Leurs décisions se sont ancrées dans la croyance que les choses ne seraient plus jamais tout à fait comme avant, ce qui a été confirmé par des années d’activité inférieure à la normale. La croyance au retour de la « normalité » a pris beaucoup de temps et s’est faite au prix d’immenses efforts.

L’économie d’alors et l’économie actuelle ont de nombreux points communs. Depuis la Grande Crise, les espoirs ont été déçus à maintes reprises. Le résultat « peu concluant » des imposants programmes de relance des gouvernements, les querelles politiques qui ont entravé l’essor économique, la grogne populaire générale et des catastrophes naturelles singulières ont contribué à la croissance irrégulière des sept dernières années, une situation qui – hélas – nous est devenue familière. Et puis il y a les messages qui nous sont transmis. À l’ère de l’information, les messages diffusés n’ont cessé d’alimenter notre appétit pour le drame, ce qui a contribué à créer une liste constamment renouvelée de raisons soutenant la thèse que la situation s’explique par des motifs structurels – en clair, que cette situation persistera à moins que nous ne transformions l’architecture économique.

Et si la situation que nous vivons – tout comme la Grande Crise – n’était qu’un cycle exagérément long ? Est-il possible que la mondialisation nous donne la capacité de connaître une croissance plus longue que d’ordinaire, et que nous tardions à nous adapter à cette réalité économique? Pouvons-nous un instant envisager le fait que les épisodes de progression et de contraction soient plus longs, tout cela parce que nous intégrons désormais un nombre important d’économies en phase de « rattrapage »? Voilà une perspective qui change notre façon de voir les choses.

De toute évidence, il y a des enjeux de nature structurelle. Pourtant, certains milieux se refusent obstinément à considérer le rôle joué par le cycle. Parfois, le zèle dont nous faisons preuve pour corriger les problèmes n’est qu’une façon de déléguer la décision aux « vendeurs de solutions », alors qu’un remède naturel ferait très bien l’affaire. En termes économiques, cela signifierait sans doute que l’économie est prête à se guérir elle-même, mais nous ne l’avons pas encore compris.

Alors, il y a-t-il un moment magique? Dans un cycle normal et plus court, ce moment survient quand les consommateurs ne peuvent plus retarder leurs achats. Leur voiture tombe en ruine, leurs électroménagers rendent l’âme, et le toit de leur maison prend l’eau. Les entreprises voient alors leurs commandes se multiplier et constatent que toutes leurs capacités sont utilisées. Les plus courageuses font le saut, et les autres les suivent éventuellement. Ces jours-ci, personne ne veut faire le premier pas. Après la récession, il a fallu des dépenses publiques massives pour relancer l’activité. Or, dans la plupart des pays, cette capacité a depuis longtemps été utilisée. La demande comprimée aux États-Unis et en Europe occidentale est manifestement en augmentation. Ce que nous attendons vraiment, c’est la prise de conscience que les années de morosité sont bel et bien terminées. Et cela pourrait se produire en un éclair – toutefois, si les mauvaises nouvelles se vendent mieux que les bonnes, l’attente pourrait être longue.

Conclusion?

Notre avenir dépend de notre perception des forces à l’œuvre dans l’économie en général. Aujourd’hui, nous choisissons de voir l’empereur piètrement vêtu alors qu’il est habillé de son plus beau costume du dimanche. Espérons que notre perception du contexte actuel prenne sérieusement en compte les données actuelles – et le plus tôt sera le mieux.

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