La fin du commerce d’intégration?

Dans le monde, le commerce d’intégration est devenu omniprésent. Ce terme, inventé par EDC il y a plusieurs années, décrit l’imbrication croissante à l’échelle internationale entre les exportations, les importations et les investissements transfrontaliers – dans un mouvement qui se veut le plus libre possible. Ce genre d’accord gagnant-gagnant est difficile à faire accepter, mais il a depuis longtemps fait ses preuves. Aujourd’hui, il est remis en cause et fait face à sa plus grave menace depuis des décennies. Est-il en péril?

À en juger par le parcours de l’économie mondiale des sept dernières années, le système ne semble pas être un modèle de réussite… et pourtant il fonctionne. Pourquoi? Tout d’abord, parce qu’il abaisse les coûts dans une économie, car l’ouverture du commerce élimine des tarifs et droits de douane qui seraient autrement à la charge des consommateurs de biens finaux. Ce système réduit aussi le coût des intrants clés pour les entreprises, qui deviennent plus rentables et sont en mesure de répercuter la baisse des coûts à leurs clients. Deuxième raison : ce système accroît l’efficience des investissements. Les pays ne réussissent jamais à tout produire par eux-mêmes : chacun profite d’un avantage comparatif par rapport à certains produits ou services. Grâce à la libéralisation des échanges, l’investissement peut être canalisé vers les secteurs où un pays excelle, ce qui diminue les coûts pour tous. Troisième raison : ce système favorise le resserrement des liens économiques et politiques entre les nations. En s’ouvrant toujours au plus au commerce, les pays connaissent mieux leurs capacités, ce qui intensifie l’activité commerciale. Dans la sphère politique, cette présence plus affirmée du commerce engendre un intérêt plus marqué pour les acteurs mondiaux et des interactions plus nombreuses entre les pays. Enfin, quatrième raison : cette activité se traduit (et s’est traduite) par une nette augmentation de la diversification de l’économie, par une intégration économique accrue et par une hausse notable du PIB mondial, qui n’aurait pas été aussi importante si ce système n’existait pas.

Pourtant, comme tout système, il présente des inconvénients. Premièrement, la libéralisation du commerce ouvre toute grande la porte à certains abus. Les barrières non tarifaires et d’autres moyens de « faire pencher la balance » menacent constamment l’architecture actuelle du commerce. Et pour cause : les petites et même les grandes entreprises n’ont pas toujours les ressources ni la patience pour se lancer dans un processus de règlement des différends long et coûteux. Deuxièmement, une plus grande libéralisation du commerce et de l’investissement peut alimenter la crainte évoquée par Ross Perot, soit celle « d’un grand bruit d’aspiration » causé par la fuite des emplois vers un autre pays. Il est impossible d’empêcher les pertes d’emplois, mais ce qui est primordial, ce sont les emplois nets – et ils sont à la hausse. Troisièmement, la libéralisation du commerce est exposée à des épisodes de contraction économique. Quand la conjoncture est difficile, il est facile d’en attribuer la faute à d’autres pays même s’ils sont manifestement innocents. Enfin, la libéralisation du commerce épouse la dynamique du capitalisme, qui comme on l’a vu ces dernières années fonctionne bien la plupart du temps, mais reste vulnérable à une défaillance du marché. Une intégration accrue des marchés, sans la mise en place de garde-fous appropriés, accentue le risque de défaillance systémique – la « réaction en chaîne » indésirable d’une plus grande proximité.

La relation économique entre le Canada et les États-Unis compte sans doute parmi les plus parfaits exemples du commerce d’intégration. On en sait déjà beaucoup sur cette proximité dans le domaine de l’export-import, mais ce qui est moins connu, c’est notre relation d’intégration en matière d’investissement. Le Canada est la deuxième destination des investissements américains à l’étranger, des actifs qui ont totalisé 388 milliards de dollars canadiens en 2015. Les ventes au Canada des sociétés affiliées américaines présentes ici se sont élevées à 612 milliards en 2014 (la dernière année complète de données), ce qui représente plus de la moitié de toutes les ventes par des sociétés affiliées étrangères au Canada. Cette relation n’est pas unilatérale, loin de là. Les actifs liés à l’investissement direct du Canada sur le marché américain ont totalisé 450 milliards de dollars canadiens en 2015, notre pays se hissant au troisième rang après le Royaume-Uni et le Japon. Tout aussi impressionnantes sont les ventes de 298 milliards de dollars canadiens réalisées par les sociétés affiliées canadiennes aux États-Unis en 2014. Des deux côtés de la frontière, cette activité est à l’origine de centaines de milliers d’emplois – un chiffre qui grimpe rapidement dans les millions lorsqu’on y ajoute le commerce bilatéral.

Perturber toute cette activité est une entreprise énormément risquée. Il est facile d’imposer des droits de douane ou des taxes aux frontières, mais ce sont ultimement les consommateurs qui protesteront lorsqu’ils constateront qu’ils en font les frais. Par contre, il est beaucoup plus ardu de réinvestir pour tenir compte de changements majeurs des politiques – cela prendrait des années. Et s’il y avait des avantages, les gens ordinaires devraient attendre des années avant d’en profiter. Voilà un élément capital qui semble indiquer que les déclarations inquiétantes faites ces jours-ci sont celles d’un redoutable négociateur qui souhaitent tirer davantage de l’architecture en place – et non la démolir pour recommencer à zéro.

Conclusion?

Les ventes entre le Canada et les États-Unis ainsi que l’intégration de l’investissement entre nos deux pays sont sans doute l’une des meilleures illustrations dans le monde d’un accord commercial harmonieux, efficace et fondé sur les interrelations. Son avenir est-il en péril? Les fruits évidents de cet accord sont les arguments les plus percutants et solides en faveur de sa pérennité.

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